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Des prairies et des troupeaux

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il y a 4 jours

Par Mathieu Bessière, ingénieur agricole, spécialisé dans les systèmes d’élevage durable. A l’origine du développement du pâturage tournant dynamique depuis 2010, et formateur sur ce sujet auprès des éleveurs. Il les accompagne vers des pâtures productives, fertiles et résilientes. Il est l’auteur du livre Le pâturage tournant dynamique, aux éditions France Agricole. 

 

L’enjeu du réchauffement climatique, contre lequel il est nécessaire de lutter, met au cœur de débats tempétueux les animaux d’élevage. Que ce soient les vaches, les moutons, les chèvres, ils sont vivement critiqués pour leur supposée contribution jugée excessive à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Cette mise en cause découle en réalité d’un bilan réalisé uniquement au niveau de l’animal, sans le remettre au sein de son écosystème. 

Ce bilan compare en réalité la quantité de dioxyde de carbone stockée dans les végétaux qu’ils ingèrent avec les émissions de méthane résultant de leur digestion. Le méthane, ayant un pouvoir d’effet de serre plus important que le CO2, ce bilan est en totale défaveur des animaux d’élevage. Cependant, cette approche fait abstraction du rôle que jouent les herbivores dans l’écosystème de la prairie où ils se nourrissent. Ils doivent être intégrés au bilan global de la prairie, et non considérés séparément d’elle. C’est un peu comme si on parlait du bilan carbone d’un jardinier, sans parler du potager qu’il fait pousser pour se nourrir.

 

1200 kg de carbone par hectare et par an

Or il se trouve que les prairies (gérées avec pertinence) stockent bien plus de carbone que les ruminants n’en émettent, jusqu’à deux fois plus selon les résultats du projet Life+ Pâturage Tournant Dynamique. En moyenne, c’est plus de 1 200 kg de carbone par hectare et par an durant cinq ans dans l’horizon 0 – 60 cm du sol. Ainsi calculé, le bilan devient plus que positif, et ce sans même prendre la peine de compter sur les apports supplémentaires que nous obtiendrions avec le recours massif à l’agroforesterie, c’est-à-dire la plantation d’arbres et de haies. 

Pouvons-nous penser une seule seconde que la nature aurait aussi mal fait les choses depuis des millions d’années où herbivores et prairies appartiennent à un même écosystème ? A l’évidence non. 

Mais si nous allons un peu plus loin, nous sommes de plus en plus d’agronomes œuvrant pour l’agroécologie à penser (à l’instar d’Allan Savory) que non seulement les animaux ne sont pas le problème, mais qu’ils sont certainement une part essentielle de la solution. 

Pour bien comprendre cela, il faut effectuer un exercice d’imagination. 

Imaginons ensemble une dense forêt de feuillus, peuplée d’une variété d’arbres communs tels que des chênes, des hêtres, des châtaigniers, et bien d’autres. Cette forêt, riche et autonome, génère chaque année une importante biomasse sans nécessiter d’intervention humaine : pas de re-semis réguliers, pas d’engrais, pas de produits phytosanitaires pour contrer maladies et ravageurs.

Envisageons maintenant qu’un individu, motivé par une raison inconnue, décide de la raser entièrement. Il procède alors à la coupe du bois, à son exportation, à la combustion des branches et des racines, au retournement du sol, à son labourage intensif, et à l’extermination ou à la chasse d’un maximum d’animaux. Il laisse derrière lui un sol nu, quasi-désertique, dépourvu d’humus et presque dépourvu de vie.

Supposons ensuite que cet individu, pour des raisons tout aussi mystérieuses, quitte les lieux, laissant la nature, bien que moribonde, reprendre ses droits. Observons alors ce qui se produirait.

Malgré le feu et le labour du sol, il est impossible d’éliminer toutes les graines des plantes en dormance avant la destruction de la forêt, et puis même si c’était le cas, les oiseaux se chargeraient d’en ramener. Ainsi, les graines des plantes pionnières s’éveillent rapidement, amorçant la renaissance de l’écosystème. Ces plantes capables de pousser sur des substrats pauvres, produisent biomasse, nourriture pour la vie du sol et humus, favorisant ainsi sa fertilité. Peu à peu, l’écosystème se régénère, la biomasse produite nourrissant une vie souterraine croissante.

 

Lorsque la fertilité du sol atteint un niveau suffisant et que sa structure le permet, les premières plantes prairiales apparaissent. Les graminées fourragères prospèrent, entraînant une augmentation maximale de la biomasse produite. La vie du sol commence alors peu à peu à éprouver des difficultés à décomposer toute cette végétation qui est laissée au sol chaque année. Si ce dernier ne peut pas recycler toute cette matière organique morte, le cycle de fertilité s’en trouve compromis, affaiblissant en retour la nutrition des plantes. Pour éviter cette régression, interviennent alors les grands herbivores, tels que les vaches, les moutons, les chevaux ou les cervidés, dont le rôle premier est de digérer rapidement l’herbe, pour libérer les sels minéraux nécessaires à l’entretien du cycle de la fertilité du sol. Dans une plante, il y a tout ce qu’il faut pour faire pousser une autre plante, à condition qu’elle soit mise rapidement à disposition de cette dernière, c’est ce que font les animaux en les digérant.

La prairie stocke du carbone 

La vie de la prairie se caractérise par une forte production de biomasse végétale, un sol riche et actif, soutenu et protégé par la présence des animaux. La prairie est la principale source de nourriture pour les herbivores, et il leur est indispensable de la protéger. Tout arbre qui tente de s’y implanter est immédiatement brouté et éliminé. Il n’y a pas d’herbivores sans prairie, et il n’y a pas de prairie sans herbivores.

Envisageons à présent qu’une partie des herbivores, pour une raison quelconque (moins d’appétence pour l’herbe, difficulté d’accès ou exposition à un danger), délaisse une partie de la prairie. La biomasse produite devient alors nettement supérieure à celle digérée par le sol, les plantes ont désormais le loisir d’arriver à maturité sans être broutées, donc de se lignifier, on parle alors d’augmentation du carbone archaïque. Cette accumulation de carbone favorise l’apparition de ronces. La zone délaissée par les animaux devient alors inaccessible, les ronces faisant office de barrières naturelles. C’est dans ces ronces que peuvent germer les premiers arbres pionniers, progressivement remplacés par une forêt d’arbres pérennes, similaire à celle présente avant l’intervention humaine.

Se passer des animaux d’élevage ?

Éliminer les animaux d’élevage, comme parfois suggéré, reviendrait alors à choisir entre deux options : laisser la prairie se reconvertir en forêt ou cultiver d’autres types de cultures à sa place. 

Dans le premier cas, les émissions de gaz à effet de serre ne seraient pas une préoccupation, car la forêt est aussi un important puits de carbone. En revanche, nos sociétés devraient assumer une réduction d’environ 20 % de nos surfaces agricoles qui pourtant les nourrissent. 

Dans le second cas, bien que d’autres denrées alimentaires soient produites, cela se ferait au détriment du stockage de carbone, aucune filière agricole en France n’ayant encore démontré sa neutralité carbone.

 

Les déjections des animaux d’élevage servent à fertiliser les sols agricoles

Mais cela va au-delà : l’immense majorité des plantes agricoles que nous cultivons sont également des herbacées, les céréales en premier lieu. Nous passer de l’élevage reviendrait donc non seulement à abandonner nos prairies, mais aussi à maintenir notre dépendance aux engrais chimiques. Il n’y a pas de meilleurs engrais qu’une bouse de vache pour faire pousser de l’herbe, mais à défaut l’industrie agrochimique a élaboré un nombre considérable de palliatifs dont je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’en rappeler tous les méfaits. 

Et si nous allons encore un peu plus loin, l’agroécologie est la forme d’agriculture unanimement reconnue aujourd’hui comme étant le mode de production de demain. Cette approche repose sur la maximisation de la production végétale dans et entre les cultures pour nourrir et protéger le sol. L’objectif est d’augmenter la fertilité des sols sans les dégrader et en éliminant progressivement le recours aux intrants chimiques. Mais ces surplus de biomasse ainsi produits obéissent aux mêmes règles que les prairies en termes de vitesse de dégradation : donc sans animaux, pas de fertilité. C’est ce qu’ont déjà compris les pionniers de l’agroécologie car plutôt que de supprimer les animaux, ils les réintègrent petit à petit dans leurs systèmes.

 

Il est évident que tous nos modes d’élevage ne sont pas à ce jour des modèles de vertus ; ils doivent encore pour la plupart, massivement évoluer. Cependant, ils ne sont pas en retard par rapport aux autres filières agricoles. Il est d’ailleurs indéniable que ce seront les filières d’élevage herbivores qui atteindront les premières la neutralité carbone grâce au concours des prairies et de l’agroforesterie. Les animaux jouent déjà et joueront encore davantage dans les années à venir un rôle crucial dans la transition des autres filières vers l’agroécologie. Il est donc urgent de cesser de stigmatiser cette profession, ainsi que les hommes et les femmes qui la pratiquent, très majoritairement avec passion, et pour notre bien à tous depuis des siècles. 

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Mathieu Bessière

Ingénieur agricole, spécialisé dans les systèmes d’élevage durable. A l’origine du développement du pâturage tournant dynamique depuis 2010, et formateur sur ce sujet auprès des éleveurs. Il les accompagne vers des pâtures productives, fertiles et résilientes. Il est l’auteur du livre Le pâturage tournant dynamique, aux éditions France Agricole. 

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