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La laine de mouton, levier d’agriculture circulaire entre élevage et verger.

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il y a 2 jours

Dans l’Oise, l’élevage et les vergers s’allient : la laine des moutons, privée de débouchés, devient un engrais naturel qui nourrit les sols et protège les pommiers. Une illustration concrète de l’agriculture circulaire.

 

Dans la ferme de la SCEA du Clos Bernard, à Rosière, dans l’Oise (60), Sébastien Vanlerbergheélève un troupeau de 40 Shropshires et cultive 204 hectares de cultures : une centaine d’hectares de verger pomme cidricole et une centaine d’hectares de grandes cultures (luzerne, féverole, blé, lentille, épeautre, sarrasin). Le mot d’ordre de cette exploitation, la synergie ! Les différents ateliers de production se soutiennent, se conjuguent, développent le potentiel de chacun. Ici, suite à la perte d’un marché avec les Japonais sur la commercialisation de la laine de mouton, il sera question de trouver une nouvelle valorisation de cette matière, une valorisation plus territoriale, plus écologique, plus holistique. Une valeur bioéconomique (1) ! Mais dans un premier temps, revenons en arrière.

 

Historique

Dans les années 1990, Guy Vanlerberghe, père de Sébastien, commence à replanter un verger de pommiers sur une exploitation céréalière et betteravière qui avait vu disparaître petit à petit élevage et prairie, du fait de la simplification des pratiques du milieu agricole. Une conséquence directe des orientations agricoles données entre les années 1950 et 2000. Mais sans élevage, la ferme n’est pas complète. Guy réfléchit sérieusement à la réintroduction de l’élevage sur une ferme qui en avait autrefois. Les vergers présentent différentes problématiques : gestion des maladies, de l’enherbement, insectes prédateurs. Le mouton apparaît alors comme une solution phytosanitaire naturelle tout indiquée. Les brebis mangent et enfouissent les feuilles, ce qui baisse l’activité de la tavelure, une maladie nuisible aux pommiers. Elles se frottent contre le tronc des arbres où nichent certains insectes à la période hivernale, détruisant les cocons, mangent les fruits véreux tombés au sol, tondent l’herbe et mangent le lierre qui s’agrippe aux arbres. Une vraie solution tout-en-un, mise en place sur l’exploitation en 2013, en parallèle d’une conversion en agriculture biologique engagée dès 2011 et aboutie en 2015.

 

Une synergie à tout va 

De 2016 à 2022, tout va bien (aussi bien que possible dans un milieu régi par les lois du marché international, la hausse du prix des matières premières, de l’énergie et la stagnation du prix des produits alimentaires animaux et végétaux). Les moutons pâturent sous les arbres, des prairies leur sont semées spécifiquement. En grandes cultures, les moutons justifient le retour de la luzerne : une plante de la famille des fabaceae. Cette plante présente de nombreux intérêts agronomiques : elle s’alimente seule en azote grâce à une bactérie qui fixe l’azote de l’air, structure le sol par ses racines profondes et concurrence trois adventices problématiques (chardon, vulpin, ray-grass).. En somme, le seul problème de la luzerne est son manque de valeur sur le marché économique, du fait de sa compétition avec le tourteau de colza et de soja sur le marché de l’alimentation animale. Par ailleurs, l’hégémonie du modèle dominant, qui associe la fibre au sucre grâce au maïs ensilage, limite l’utilisation de la luzerne, laquelle valorise la fibre à travers la protéine. Les agriculteurs qui choisissent la luzerne travaillent généralement en autoproduction et autoconsommation.. Ces éléments réduisent la faisabilité et l’acceptabilité de la mise en route d’une filière à des échelles territoriales plus larges pour le développement d’un marché.

 

Revenons à nos moutons !

Comme exprimé plus haut, les Shropshires ont un intérêt double. Ils assainissent le verger et produisent des agneaux vendus dans la filière viande Bio, en circuits longs et courts. Seulement, comme tous les moutons, ces derniers ont besoin d’être tondus ! Que faire de la laine ? Jusqu’à récemment, un marché international permettait d’exporter vers le Japon, mais à partir de 2022, ce débouché disparaît. Or les moutons continuent de produire de la laine, la tonte a un coût, la destruction en aurait un aussi. Il faut donc trouver une manière utile de l’employer. 

 

Laine de mouton, fertilisons !

À l’été 2022, la région des Hauts-de-France connaît une situation climatique exceptionnelle. Au 1er juillet, seulement 174 mm de pluie sont tombés en cinq mois, alors que la moyenne annuelle des vingt dernières années oscille entre 600 et 800 mm. Les températures grimpent jusqu’à 40 °C, avec 17 jours au-dessus de 30 °C entre juin et août. Un climat inédit pour cette région, qui met sous forte pression les cultures et les animaux. Les pépinières de jeunes pommiers, en particulier, souffrent d’un manque d’eau et de nutriments.

L’irrigation étant limitée dans ce territoire où la ressource en eau est très convoitée, l’arboriculteur Sébastien Vanlerberghe cherche une solution. Il imagine alors de tirer parti de deux contraintes : la perte de débouchés pour la laine et le besoin de protéger ses pommiers. Son idée : déposer, sur les rangs d’arbres, un mélange de laine et de résidus de luzerne formant une couche de 20 cm. L’objectif est double : maintenir l’humidité du sol et nourrir les jeunes arbres sans avoir recours à l’irrigation.

Fin août, lors d’un tour de plaine avec son conseiller, les premiers résultats sont observés. En creusant sous ce paillis, le constat est clair : la terre reste humide et malléable, alors que les sols voisins, exposés directement au soleil, sont totalement desséchés. Autre signe encourageant, la présence de nombreux insectes, notamment des forficules (pince-oreilles), connus pour se nourrir de pucerons et protéger ainsi les arbres.

Une analyse de sol vient confirmer l’intérêt du dispositif : sur les 30 premiers centimètres, on retrouve une bonne disponibilité en nutriments, gage de la capacité des arbres à bien se développer. Le mélange laine-luzerne reste en place tout l’été et amorce sa dégradation à partir de septembre, renforçant son rôle fertilisant.

 

3 ans plus tard ?

La pépinière s’est développée, les arbres ont rattrapé une autre pépinière plantée 1 an avant. Le matériau présente donc toutes les caractéristiques d’un bon fertilisant pour une pépinière arboricole : maintien de l’humidité, transfert d’éléments nutritifs, niche à prédateur de pucerons. 3 services écosystémiques majeurs permis par l’autoconsommation de la laine du mouton. Un vrai modèle de bioéconomie !

 

Conclusion 

 

La perte de valeur des matières sur les marchés mondiaux mène souvent à des changements structuraux majeurs des paysages agricoles. Le paradigme dominant étant de cultiver et d’élever en fonction des appels du marché dominé par l’agro-industrie. L’exemple présenté ici illustre au contraire un revirement : transformer la perte de marché en une opportunité, grâce à la mise en place d’une solution fertilisante pour un système arboré. Cela démontre l’intérêt de l’élevage et la synergie indispensable qu’il est possible d’opérer avec les cultures. Dans un système où les marchés font volte-face, où le prix de l’énergie augmente et où la disponibilité des matières premières est de moins en moins assurée, la synergie et la bioéconomie sont des outils qu’il va être nécessaire de développer pour le maintien de la vivabilité, de la viabilité mais surtout de la désirabilité de notre modèle agricole.

 

Olivier REY

Agronome

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Olivier REY

Olivier REY est Agronome indépendant, il accompagne le développement agricole sur le terrain des idées développés par les agriculteurs pour les agriculteurs. Il contribue à trouver des solutions innovantes pour augmenter l’autonomie des exploitations agricoles et la réduction d’usage des intrants issues de l’industrie chimique en se basant sur des solutions fournies par l’environnement. Enseignant et Formateur, il contribue au transfert et à la vulgarisation des savoirs pour le bénéfice des pratiques, des praticiens et des milieux cultivés.

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