/ Il faut une quatrième révolution agricole — et l’élevage herbager peut en être l’un des piliers

Il faut une quatrième révolution agricole — et l’élevage herbager peut en être l’un des piliers

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il y a 1 jour

Grand entretien avec Jean Viard, sociologue
Propos recueillis par Agriculture Circulaire

Le sociologue Jean Viard appelle à une 4ᵉ révolution agricole, après celles de 1789, de la République et De Gaulle. Un des piliers de de ce nouveau pacte : l’élevage herbager, indispensable aux paysages, au climat et à la cohésion des territoires.

Agriculture Circulaire — Vous dites que la France doit engager une « quatrième révolution agricole ». À quoi ressemblerait-elle ?
Jean Viard — Dans l’histoire française, les grandes mutations de l’agriculture ont toujours été des pactes entre la société et le monde paysan : 1789 et la réforme foncière ; la fin du XIXᵉ avec l’exploitation familiale républicaine ; puis les années 1960 avec Pisani et De Gaulle qui ont garanti l’indépendance alimentaire par la mécanisation et la chimie. Aujourd’hui, il faut un pacte d’un autre type : écologique et sociétal. Il doit articuler alimentation de qualité, énergie renouvelable portée par les fermes et santé publique (voisinage, eau, air, pesticides). Et il doit se construire par régions, parce que la Normandie n’est pas la Provence.

AC — Pourquoi cette urgence maintenant ?
J. V. — Parce que le climat est une réalité quotidienne pour les agriculteurs : changement de variétés, gestion de l’eau, d’ombre et de lumière… Ce ne sont pas des slogans. Et parce que notre société se recompose : le périurbain est devenu majoritaire (63 % de Français en maison avec jardin, beaucoup ont un potager, un animal). Ce monde-là est entre ville et campagne, mais on ne le représente pas. Il se sent méprisé par les élites urbaines… et pas reconnu par la paysannerie. Si on ne fabrique pas un récit commun, on nourrit les colères.
Or le récit de la France est intimement lié à celui de la paysannerie, longtemps majoritaire. Ne pas réinventer notre récit national en tenant compte de ces trois réalités a toute les chances de nous monter les uns contre les autres au lieu de tisser des ponts entre ces trois mondes.

AC — On entend souvent : « les Français aiment les agriculteurs mais plus trop l’agriculture ». Vous partagez ce constat ?
J. V. — Oui. Les enfants de paysans, partis étudier, ne veulent souvent pas reprendre : ils ont vu la dureté du métier et l’hostilité du débat public. Notre société « clean » valorise peu les métiers où le corps travaille. D’où une paysannerie qui se sent mise en accusation.

AC — L’élevage est fréquemment montré du doigt. A-t-il encore sa place dans cette quatrième révolution agricole ?
J. V. — Une place centrale si on parle d’élevage herbager. Les éleveurs tiennent la moitié des surfaces agricoles ; cela représente environ un quart du territoire national. Sans pâturage, c’est la broussaille, les incendies, les ruisseaux qui se perdent. La prairie stocke du carbone, régule l’eau, nourrit la biodiversité et entretient des paysages habités. Le problème, c’est que l’honneur du métier reste : « nourrir ». Dire à un éleveur « tu produis aussi du paysage ou de l’énergie » heurte son identité professionnelle — il y a donc un travail profond de sens à mener.

AC —La consommation de viande est questionnée en Francequatrième. N’est-ce pas contradictoire avec un projet pour l’élevage ?
J. V. — La baisse est tendancielle et il faut l’intégrer. Mais justement : ça oblige à distinguer. On ne parle pas de la même chose entre élevage intensif dépendant d’imports et élevage herbager ancré dans les prairies. La demande va vers moins de viande mais mieux : origine, mode d’élevage, prairies permanentes. Il faut accompagner cette montée en qualité, reconnaître les services écosystémiques et rémunérer ce qui n’est pas pris en compte par le prix de la carcasse.

AC — Vous plaidez pour une carte agricole régionalisée. Pourquoi ?
J. V. — Parce que les réalités divergent : en Normandie, la baisse de la production de viande libère de l’espace ; en Provence, où il y a peu d’élevage, l’enjeu c’est l’incendie et la gestion de la forêt. Le Bassin parisien produit des matières premières à grande échelle ; la ceinture des villes peut nourrir en circuits courts. Gouverner ça par une moyenne nationale est absurde. Il faut des pactes régionaux.

AC — Circuits courts : un supplément d’âme ou une vraie solution ?
J. V. — Une vraie solution là où vivent les gens. Les écoles d’agriculture se remplissent de jeunes femmes sans foncier qui peuvent vivre d’un maraîchage à deux hectares près d’une ville. On peut jumeler cantines et fermes, associer restaurants d’entreprise et producteurs locaux, contractualiser sur cinq à dix ans. Les agriculteurs n’aiment pas s’enfermer dans un prix — ils espèrent toujours que l’année suivante sera meilleure — mais ces contrats stabilisent revenus, investissements et transmission.

AC — Vous insistez sur la cohabitation avec les riverains. C’est devenu si structurant ?
J. V. — Oui : les urbains vivent désormais au milieu des terres. Chaque traitement, chaque odeur devient un sujet. Hier, les agriculteurs étaient « entre eux » ; ce n’est plus le cas. La quatrième révolution devra intégrer une médiation locale : horaires, distances de pulvérisation, haies, information en temps réel. C’est de la santé publique… et de la paix sociale.

AC — Beaucoup d’agriculteurs disent : « On veut bien changer si c’est à prix égal ». Comment faire ?
J. V. — Payer ce qui n’est pas payé : la prairie comme service écosystémique, la haie qui filtre l’eau, l’ombre qui protège. Assurances climatiques adaptées, soutien au remplacement et aux astreintes, investissements pour l’énergie (panneaux sur toitures, méthanisation raisonnée). Et surtout, des contrats d’achat pluriannuels avec restauration collective et grandes entreprises. Ce sont des outils simples, lisibles.

AC — Qui doit porter cette révolution : Bruxelles, Paris, ou les régions ?
J. V. — Les trois, mais avec un lead régional. L’Europe fixe le cadre, l’État finance et arbitre, la région organise par bassin de vie. Arrêtons la moyenne nationale qui écrase tout.

AC — Votre message à un(e) jeune qui hésite à reprendre un troupeau herbager ?
J. V. — Trois vérités : 1) Vous serez indispensable à votre territoire ; 2) La société demande moins mais mieux, et l’herbe répond à ce « mieux » ; 3) On ne réussit pas seul : cherchez le collectif.
Trois illusions : 1) Refaire la ferme familiale « comme avant » ; 2) Croire qu’on vous laissera travailler sans voisinage ; 3) Penser que l’identité du métier n’évoluera pas vers paysan-éleveur-paysagiste-energeticien.

AC — En une phrase, la quatrième révolution agricole ?
J. V. — Un pacte régional entre villes et campagnes qui rémunère la prairie et le travail collectif, pour une agriculture qui nourrit, protège et habite le pays.

Image de Jean Viard

Jean Viard

Jean Viard est sociologue et directeur de recherches CNRS au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris. Ses domaines de recherche sont les temps sociaux (vacances, 35 h), mais aussi l’aménagement du territoire, l’agriculture et les comportements politiques. « Il est l’un des meilleurs connaisseurs du territoire français. Plus encore que ses titres – sociologue, directeur de recherche au CNRS

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